Connaissance financière et rationalité des investisseurs : une étude canadienne

La compétence financière des investisseurs repose sur deux éléments. Le premier est la connaissance et la compétence requise pour exploiter les connaissances. Cet élément est souvent assimilé à la littératie. Le second est la rationalité, que l'on peut assimiler à l'absence de biais importants, tels que l'excès de confiance. Afin d'estimer les niveaux de connaissance et de rationalité des investisseurs, nous avons fait passer un sondage en ligne aux personnes qui gèrent, de façon autonome, des portefeuilles personnels d'actions. Au total, 1 814 personnes (moitié au Québec, moitié en Ontario) ont rempli les conditions d'accès au sondage : détenir des actions d'entreprises cotées en bourse et être le principal responsable des décisions relatives à leur gestion. Ces personnes sont en grande majorité des hommes, anglophones, ayant fréquenté une université, de plus de 55 ans, au travail à temps plein ou retraités et dont les revenus sont supérieurs à 50 000 $ par année. Ils gèrent un portefeuille d'environ 200 000 $, dont la majeure partie est investie en actions de grandes ou de petites entreprises inscrites en bourse.

Globalement, le premier volet du sondage confirme que le niveau de connaissance des investisseurs canadiens est faible. Malgré les nombreux programmes existants dédiés à l'éducation financière, les investisseurs obtiennent un score de connaissance très médiocre. Seuls 5 % d'entre eux obtiennent un score supérieur à 66 %. La très grande majorité des répondants obtient un score entre 40 et 57 %. Des lacunes importantes apparaissent en ce qui concerne la connaissance du risque et du rendement des catégories d'actif. La connaissance des rendements passés des grandes catégories d'actif est anormalement faible, notamment en ce qui concerne le rendement des actions, domaine où la totalité des personnes interrogées est pourtant impliquée. La connaissance médiocre des performances des catégories, ainsi que des notions de primes de risque, est problématique en ce qui concerne la capacité de planification des investisseurs. Environ 70 % des investisseurs ne savent pas que le rendement de marché est la somme du taux sans risque et d'une prime de risque de marché. Moins de 20 % des investisseurs ont une idée correcte de l'estimation de la prime de risque de marché.

Un investisseur sur cinq ignore que le rendement d'une petite entreprise en croissance ne provient pas des dividendes, mais du gain en capital. Un investisseur sur trois est certain d'obtenir des dividendes dans le futur d'une entreprise qui en verse habituellement. Près de 30 % des répondants ignorent que les indices boursiers sont très largement influencés par les rendements des plus grosses capitalisations. Trois investisseurs sur quatre ne comparent d'ailleurs pas systématiquement le rendement de leur portefeuille avec celui d'un indice boursier. La moitié des investisseurs n'a pas une idée claire du lien entre le manque de liquidité et la valeur d'un titre. De nombreux investisseurs ne savent pas qu'en investissant dans des titres de petites entreprises inscrites sur la bourse de croissance TSX ils peuvent perdre leur mise. Beaucoup sous-estiment largement les risques associés à la détention d'obligations gouvernementales et d'actions.

La majorité (59 %) des investisseurs pensent qu'il n'existe pas de relation systématique entre le risque et le rendement des titres. Presque tous les investisseurs (83 %) sont persuadés que le TSX comporte des aubaines à rendement élevé et faible risque. Une proportion élevée des investisseurs interrogés, notamment au Québec, n'intègre pas correctement la notion de risque dans le prix des titres.

Une partie significative (18 %) des investisseurs n'a pas une idée claire de ce qu'est la diversification. Seuls 35 % des investisseurs savent qu'il faut entre 10 et 50 titres pour diversifier correctement un portefeuille d'actions. Un investisseur sur 5 ignore qu'il est possible de diversifier un portefeuille d'actions au moyen des instruments de placement collectifs. Le tiers des investisseurs ignore qu'il faut analyser soigneusement l'information financière des petites entreprises qui émettent des titres, car ceux-ci sont souvent surévalués. La même proportion de personnes ne sait pas qu'il n'existe aucun moyen fiable de détecter des titres sur ou sous évalués. 42 % des investisseurs ignorent que valoriser très fortement une entreprise aux bénéfices négatifs revient à prendre un pari risqué sur l'avenir. Environ 30 % des investisseurs ne prennent pas leur décision en fonction de la répartition de leur richesse. La même proportion n'analyse pas systématiquement le risque et le rendement d'un titre avant de l'acheter. Le niveau de compétence financière est positivement lié à l'âge, au niveau d'éducation et de richesse. Il semble également être plus élevé parmi les francophones, sans que nous puissions proposer d'explication satisfaisante à cette observation.

Le second volet du questionnaire est dessiné pour vérifier dans quelle mesure les biais comportementaux révélés par les travaux antérieurs affectent les investisseurs canadiens. Un certain nombre de résultats sont troublants, mais nous ne détectons pas la présence de biais très importants parmi l'ensemble des investisseurs, sauf en ce qui concerne la surévaluation de leurs compétences.

Le résultat le plus surprenant se trouve vraisemblablement dans les attentes de rendement des portefeuilles gérés individuellement. Même s'ils s'estiment généralement plus performants que leurs pairs, les gestionnaires individuels s'attendent très majoritairement à réaliser des rendements inférieurs ou égaux à ceux de l'indice de marché. La sur-confiance est présente lorsqu'il s'agit de détecter les titres exceptionnels : 77 % des investisseurs se disent en mesure de repérer le titre exceptionnel qui se trouve dans un ensemble de 20 titres. Les investisseurs font également preuve de sur-confiance en considérant majoritairement que les prévisions moyennes établies par les experts sont fausses. Enfin, le sur-optimisme est également présent : la moitié des investisseurs surestiment largement la probabilité d'obtenir un rendement exceptionnel lorsqu'ils investissent dans une entreprise de la bourse de croissance TSX.

Nous avons demandé aux répondants d'évaluer leur compétence dans trois éléments importants de la gestion d'un portefeuille soit la sélection des titres, l'évolution du marché et le moment des décisions d'achat ou de vente de titres. Nous avons comparé les opinions que les investisseurs ont de leur compétence avec leur compétence réelle, mesurée au moyen d'un score. De façon générale et sur les trois éléments, les investisseurs se jugent beaucoup plus compétents que ne l'indiquent leurs scores de connaissance et il n'existe qu'une faible relation entre les compétences perçues et mesurées.

La notion d'aveuglement, qui se traduit par le fait que les investisseurs attribuent leurs mauvaises décisions à des facteurs externes et leurs décisions judicieuses à leurs compétences, ne semble pas présente dans notre échantillon.

Une forte proportion, d'environ 30 % des investisseurs, a une préférence pour des titres ayant la caractéristique de billets de loterie, ce qui est cohérent avec nos observations de rendements négatifs des émissions de titres de petite capitalisation. Les investisseurs semblent attacher de l'importance au fait de bien connaître le projet d'entreprise. Une très forte proportion des investisseurs fait preuve de biais de familiarité. Cette tendance serait davantage présente parmi les investisseurs ontariens.

Nos observations confirment donc la présence de certains biais de comportement, dont les principaux semblent être le sur-optimisme et la confiance exagérée dans les connaissances et habiletés requises pour générer un rendement élevé. En particulier, les investisseurs surestiment vraisemblablement leur capacité à sélectionner les titres gagnants. L'étude repose sur un questionnaire détaillé qui pourra être réutilisé pour mesurer les éventuels progrès des investisseurs à la suite des initiatives en matière de littératie.

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